La nouvelle est tombée comme un couperet en cette funeste journée de mercredi 23 octobre2013. Un grondement du tonnerre fendant une matinée automnale ensoleillée.
Socrate Cherni et cinq de ses camarades de la Garde Nationale venaient d'être abattus par des terroristes barbus du côté de Sidi Ali Ben Aoun du Gouvernorat de Sidi Bouzid, là où la Révolution du 17 décembre - 14 janvier avait éclaté.
On était tous abasourdis, choqués. En premier lieu, les familles des martyrs. Et pour le cas de Socrate, tous ceux de sa ville natale -El Kef- qui l'ont connu et aimé. Parmi eux, mes propres neveux dont l’un, Mohamed Kefi officier de l'armée de terre était son instructeur à l'académie militaire.
Personnellement, je n'ai jamais rencontré ce jeune héros, devenu du jour au lendemain un symbole, une légende et un phare à l'instar des Daghbaji, Hached, Chaker, Ali Trad, Abderrahman Mami, Khémais Hajri, le Commandant Béjaoui tombés sous les balles de la France coloniale et la liste des patriotes morts pour la patrie est encore longue .
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La tristesse que j'avais éprouvée, la douleur que j'avais ressentie et le sentiment de révolte qui m'avait assailli étaient incommensurables et indescriptibles.
Comme ce fut le cas pour le jeune palestinien Mohamed Dourra, abattu à la fleur de l'âge parla soldatesque sioniste une décennie auparavant, j'ai d'abord pensé à lui dédier un poème, puis je me suis ravisé et opté plutôt pour une nouvelle. Au bout de quelques jours, elle était prête. Avec trois autres nouvelles, elle sera publiée en 2014 à Paris dans un recueil intitulé '' Le Corset de Socrate'' sous le pseudonyme de Skander Ben Salem.
A l'occasion de la commémoration du dixième anniversaire de ce triste événement et poussé par un devoir de mémoire, j'ai demandé à Leaders, qui ont gentiment accepté, de ré-éditer le livre mais cette fois-ci en Tunisie sous le titre '' Destinées croisées '' avec deux autres nouvelles inédites.
Dix années se sont donc écoulées depuis cette tragédie et la plaie est toujours béante car les véritables responsables, les pièces maîtresses comme disent les échéphiles sont encore libres. Seuls quelques pions ont été sacrifiés. Les acteurs principaux de ce macabre scénario, à savoir les commanditaires ainsi que ceux qui ont planifié et financé ce sordide attentat n'ont pas payé pour leurs forfaits. Et même si la justice des hommes les épargnera, le châtiment divin finira par s'abattre sur eux soit ici-bas ou dans l'au-delà où Géhenne les accueillera.
Ainsi et même après une décennie, j'essaie patiemment d'analyser et de comprendre pourquoi et comment notre pays, connu pour être un havre de paix et une oasis de tolérance a soudainement basculé dans la terreur et une folie meurtrière ? Et cela en l'espace de quelques mois !
La nouvelle intitulée '' Carnages '' est un hymne et un hommage au courage de tous ceux tombés au champ d'honneur et de leur sang arrosé cette terre bénie. Un message contre l'oubli afin que leur sacrifice demeure gravé et enfoui dans notre mémoire collective.
Dans deux autres nouvelles : '' Ravages '' et '' Virages '' , j'ai aussi voulu rendre hommage aux travail, à l’abnégation, aux efforts surhumains et parfois aux sacrifices consentis par les ' blouses blanches ' tant en Tunisie qu'en Afrique sub-saharienne pour sauver des vies menacées par les pandémies tel qu'Ebola ,laquelle n'est pas sans rappeler le Covid-19 qui a fait des millions de victimes de par le monde .
Certains sujets de société forment l'ossature des trois autres nouvelles : '' Rage'' , '' Naufrages ' et '' Outrage '' .
Il s'agit de l'épineux phénomène du violet du meurtres de mineurs et le dilemme posé par la peine de mort ; des affres de la jalousie, laquelle tel un cancer ronge le corps, le cœur et l’esprit. Enfin, la problématique du suicide et de l'euthanasie avec ce qu'ils soulèvent de tabous religieux et éthiques.
En filigrane transparaît également dans les six nouvelles le visage hideux de l'hydre des fanatismes politique et religieux suite à leurs récents déferlements sur la quasi-totalité des pays. La montée en puissance de l'extrême droite xénophobe, sexiste et raciste en Occident et de '' l'islamisme frèriste '' en Afrique et au Moyen-Orient, qui ne sont in fine que les deux faces de la même pièce et les ravages qu'ils ont causés un peu partout dans le monde, ne sont pas sans rappeler la période sombre des années 30 et 40 du siècle dernier. La raison a cédé la place aux passions, la sagesse à la folie, la solidarité au chauvinisme et l'empathie à l'égoïsme débridé.
Socrate l'Athénien avait choisi la cigue à l'exil . Socrate le Tunisien a préféré la mort aux compromissions. Tous deux nous adressent un message d'outre-tombe : la liberté n'a pas de prix et elle mérite le sacrifice suprême. Reposez en paix avec les nombreux martyrs qui ont suivi votre chemin. Votre noble combat n'a pas été vain et ne le sera pas!