Dans un monde plongé dans le chaos, les guerres et les divisions, la pièce "Ad Vitam" (Kima elyoum, titre en arabe), se présente comme une tentative audacieuse pour nous rappeler l’essence de l’humanité perdue. Lors de sa première représentation à la salle à la salle 4ème Art à Tunis le 18 janvier, l’artiste Leïla Toubel a réussi à arracher son public des tourments individuels pour l’entraîner dans la tourmente d’une humanité en crise, posant une question pressante : comment raviver notre humanité avant qu’elle ne soit entièrement submergée par des valeurs déformées et des appétits destructeurs ?
Fruit d’une coproduction entre le Théâtre National Tunisien (TNT) et la compagnie “Resist’Art”, cette pièce est une œuvre onirique et engagée, à travers laquelle la militante et femme de théâtre Leila Toubel invite le spectateur à suivre l’histoire de Donia, une petite fille appelée par la voix de sa mère, la Terre, à rejoindre ses entrailles. Ce départ précipité bouleverse son entourage, désormais condamné à errer dans un labyrinthe, à la recherche d’une issue et de Donia elle-même. Une quête initiatique où se mêlent rêve, espoir et mélancolie.
Cette nouvelle création, signée au niveau de la scénographie et de la mise en scène par Leila Toubel, figure emblématique du théâtre tunisien, propose une vision immersive et poétique, portée par une musique originale signée Mehdi Trabelsi et la voix envoûtante d’Abir Derbel. Sur scène, les comédiens Maya Saidane, Assala Najjar, Dina Weslati, Faten Chroudi, Khadija Mahjoub et Oussama Chikhaoui donneront vie aux personnages.
Sur le plan visuel, la chorégraphie d’Ammar Ltifi, les costumes conçus par Marwa Mansouri et le travail de lumière de Sabri Atrous promettent une mise en scène visuellement captivante, accompagnée d’un mapping original créé par Mohamed Badr Ben Ali.
La vie : un labyrinthe à la recherche de sens
Dès les premières minutes, la pièce nous transporte dans une narration mythique, mais profondément enracinée dans la réalité. Dans un univers ravagé par des catastrophes et des conflits incessants, les personnages décident de sauver l’humanité en déposant des échantillons d’ovules et de sperme dans un refuge souterrain. Mais le désespoir atteint son apogée lorsque le véhicule transportant ces derniers espoirs se renverse avant d’atteindre son abri.
Dans ce chaos, une seule ovule et un dernier échantillon de sperme sont sauvés, donnant naissance à un embryon humain nommé Donia. Ce personnage central n’est pas qu’une simple naissance dans un monde détruit : elle incarne l’essence même de la vie et de l’humanité en quête de rédemption. À travers des scènes où science et mythe s’entrelacent, l’histoire dépasse le réalisme pour plonger dans une allégorie poignante sur les contradictions humaines.
La disparition de Donia ne marque pas une fin, mais devient un moteur pour les personnages, les poussant dans une quête désespérée de sens. Entre nostalgie pour Donia et confrontation avec une réalité brutale, les personnages explorent les souffrances sociales, économiques et psychologiques qui définissent leur existence.
Sur scène, le plateau se transforme en un labyrinthe reflétant l’errance humaine. Les rythmes rapides et les mouvements dynamiques traduisent l’urgence, tandis que les moments d’accalmie offrent aux personnages l’occasion de livrer leurs monologues intérieurs. Les thématiques abordées – de la violence familiale à l’exclusion sociale, en passant par l’hypocrisie de l’humanisme à l’ère de la mondialisation – résonnent comme un cri universel.
Une scénographie aux dimensions symboliques
Malgré l’absence de décors élaborés, la scénographie parvient à transmettre des significations profondes. Le mur de fond, percé de multiples trous, symbolise une mémoire collective fragmentée, cherchant désespérément à retrouver la lumière. Les mouvements des acteurs reflètent une lutte constante entre révélation individuelle et forces collectives oppressives.
Donia, bien qu’absente physiquement, prend vie à travers des murmures venant de la terre, rappelant que malgré les apparences, l’humanité reste enfermée dans son obscurité.
Au fil des événements, le retour symbolique de Dounia offre une lueur d’espoir. Son apparition, entourée de papillons dansants, devient une métaphore d’une renaissance possible. Mais ce retour ne promet pas l’immortalité humaine, plutôt une ultime opportunité de réinventer nos valeurs.
Une dernière chance pour l’humanité
"Ad Vitam" n’est pas qu’une simple pièce de théâtre, mais aussi un appel à la réflexion sur notre condition humaine. Grâce à l’écriture, la mise en scène et la scénographie de Leïla Toubel, et au talent de l’équipe d’acteurs et de techniciens, cette pièce s’impose comme une expérience théâtrale saisissante, mêlant désespoir et espoir.
Cette œuvre reste un récit fictif, mais aussi un miroir de notre réalité. Elle nous interpelle : méritons-nous une seconde chance ? La réponse dépend de nous.